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Quand Guillemin lisait Mauriac

Les chroniques du Caire n° 5 – François Mauriac

À vrai dire, Guillemin a toujours lu Mauriac, de dix-huit ans son aîné. 

Lorsque, encore élève de l’ENS, il le rencontre pour la première fois aux « Décades » de Pontigny en 1925, il est un disciple enthousiaste et actif de Marc Sangnier, animateur catholique de gauche de la   « Jeune République ».
Mauriac, dans sa propre jeunesse, a suivi lui aussi Sangnier et le « Sillon » jusqu’à ce que ce mouvement catholique soit condamné par le Vatican en 1910 en raison de l’audace de sa doctrine sociale, bien plus avancée que celle de l’Église.

Même si Mauriac s’est ensuite éloigné de Marc Sangnier, et même si, dans les années 1920, il se situe plutôt à droite, l’écrivain déjà célèbre qu’il est, et le normalien Guillemin, sympathisent ; une amitié, jamais démentie malgré de profonds désaccords sur certains points, les liera jusqu’à la mort de Mauriac en 1970, et pour Guillemin, lui-même devenu vieux, Mauriac reste une des grandes rencontres de sa vie :

Berthier/Guillemin

Henri Guillemin me l’a dit en 1977 lors de nos entretiens (Le Cas Guillemin, Gallimard, 1979, p. 55-58).
Et, dans son livre autobiographique Parcours, il consacre à Mauriac pas moins de quarante pages, nourries de ses souvenirs et de nombreux extraits des lettres qu’il a reçues de lui (Seuil, 1989, et Utovie, 2015, p. 381-421).

Ce qui les a unis si fort touche à la fois au sentiment, aux idées et à la littérature.
Mauriac éprouvait pour Guillemin une amitié passionnée, dont témoignent ses lettres (déposées à la Bibliothèque de Neuchâtel où elles sont consultables sur demande), et de son côté Guillemin a toujours pensé que Mauriac était un des plus grands écrivains de son temps. Quant aux idées, c’est surtout à partir de 1936, lorsque Mauriac prend parti pour la république espagnole et contre Franco, que les deux hommes se rapprochent.

C’est à cette époque que Guillemin, qui dispose d’une tribune hebdomadaire dans La Bourse égyptienne pour y parler des livres de son choix, consacre à Mauriac trois de ses chroniques ; il rend compte du tome II de son Journal le 21 novembre 1937, de sa pièce de théâtre Asmodée le 31 juillet 1938, et de son roman Les Chemins de la mer le 12 février 1939.

Aucune de ces trois œuvres ne figure aujourd’hui dans ce qui demeure connu de Mauriac, mais ce qu’en dit Guillemin permet de se faire une idée de ce qu’était alors sa gloire.

Né en 1885, académicien depuis 1933, Mauriac est déjà auteur, entre autres, de Thérèse Desqueyroux (1927) et du Nœud de vipères (1933), mais aussi d’une Vie de Jésus (1936). C’est surtout après la guerre qu’il s’épanouira comme critique et comme redouté chroniqueur politique, notamment dans son fameux Bloc-Notes.

À la date où Guillemin parle de lui dans le journal du Caire, Mauriac est avant tout un romancier confirmé.

Journal II

Ainsi intitulé parce qu’un premier tome a été publié en 1934 – vient à la suite de trois romans, Le Mystère Frontenac (1933), La Fin de la nuit (suite de Thérèse Desqueyroux, 1935) et Les Anges noirs (1936) ; mais cette fois-ci, il s’agit « d’un livre dont François Mauriac est l’unique personnage, […] publiquement et sous son propre nom », en contact direct avec le lecteur.

D’entrée Guillemin donne le ton.
Certains mots qu’il emploie montrent l’emprise qu’exerce sur lui l’écrivain, et expliquent, déjà, ce qui le passionne chez lui, engagement existentiel autant qu’art d’écrire :


« Ces témoignages que Mauriac nous livre, il les a choisis en lui-même, il les a prélevés sur son univers intérieur de telle sorte qu’ils lui composent, trait à trait, cette figure qui sera la sienne pour le monde et pour la postérité. Tout cela est contrôlé, dirigé ; mais si le plus grand secret de Mauriac et de cette puissance qu’il a sur les cœurs est de ne rien écrire qui ne s’arrache du plus profond de son être même, qui ne soit, pour lui, valable totalement, qui ne l’engage et ne l’emporte, si ce charme et ce sortilège ne tiennent au fond qu’à cette adhésion passionnée de lui-même à lui-même, cette image que son Journal nous donne, toute littéraire qu’elle soit et surveillée, sans doute, soyons sûrs qu’elle ne nous trompe pas. »

Elle « ne nous trompe pas » : il s’agit là d’un acte de foi, sans preuve, mais justifié par une certitude du cœur.

Guillemin, qui plus tard en a taxé plus d’un de mensonge, est sûr du chrétien Mauriac :


« […] je crois avec force que ce visage lentement révélé, à travers un roman, puis l’autre, dénudé maintenant peu à peu par ce journal qui se prolonge, ce visage délibérément offert et proposé à l’avenir, Dieu le reconnaîtra bien tel à peu près que le monde aura pu le voir. N’ayant point menti à son temps, il n’encourra pas cette dérision d’outre-tombe et ce châtiment réservé aux faussaires d’endurer du siècle un hommage contredit par l’éternité ».

Ce qui fascine Guillemin dans ce regard de Mauriac sur lui-même, c’est ce qu’il dit de son œuvre, et la conscience, non dénuée d’auto-ironie, du caractère immédiatement reconnaissable de ses personnages : « Toute créature dont je m’occupe, écrit-il, devient instantanément ce type assez horrible et indéfendable : un personnage de Mauriac ». Et Guillemin confirme : « […] ses personnages ont entre eux je ne sais quelle ressemblance douloureuse et terrible ». Ce n’est certainement pas une faiblesse, au contraire ; pour Guillemin, cette manière d’écrire toujours le même livre lie Mauriac à Racine et à « son cortège de désespérées : Hermione, Roxane, Phèdre.

Cette Phèdre dont il semble que Racine ne parvenait point à se délivrer, cette Phèdre que Mauriac nous montre avec “sa figure morte, ses lèvres sèches, ses yeux brûlés qui demandent grâce”, qui ne voit qu’en l’évoquant ainsi Mauriac secrètement contemple en esprit sa propre héroïne Thérèse Desqueyroux ? »

Mauriac, pour Guillemin, c’est évidemment un grand écrivain, mais c’est avant tout le peintre chrétien du mal : « Le destin de la créature telle que la chute l’a laissée, je ne crois pas que depuis Pascal personne n’ait su comme Mauriac nous en faire éprouver la misère et le délaissement. L’homme condamné à n’être plus que l’ébauche nocturne de soi-même, perdant et retrouvant le goût de l’infini, l’homme perpétuellement assailli à la fois par la tentation des félicités terrestres, et par cette sollicitation de la grâce qui le presse, l’attend, l’appelle, inlassablement “le harcèle avec une fureur monotone d’Océan” ». Même un non-croyant ressentira « la prise, au moins passagère, de Mauriac sur quiconque l’approche […] tant il apparaît, même aux plus prévenus, que toute cette œuvre au contraire porte témoignage d’une certitude, erronée peut-être, mais essentielle, totale, tragiquement vécue ».

Asmodée

Lorsque, huit mois plus tard, Guillemin en vient à Asmodée, il commence par justifier le retard avec lequel il en parle. Cette pièce, la première de Mauriac, écrite entre l’été 1936 et février 1937, a en effet été créée le 22 novembre 1937, et son article est de la fin juillet 1938 ; cela fait alors « plus de six mois » que cette œuvre, et son succès, sont « l’événement continu de la saison théâtrale française ». Mais il a voulu attendre que le texte soit publié en librairie, et puis « on ne peut juger véritablement d’une pièce de théâtre à la seule lecture ; il faut l’avoir vue sur la scène » et, étant en poste en Égypte, il a dû attendre de pouvoir le faire, dès le début de ses vacances en France, « le 2 juillet », précise-t-il ; sept mois après la première, « la salle était pleine, des derniers balcons au parterre ; à neuf heures il n’était plus possible d’obtenir même un strapontin. Le succès d’Asmodée est éclatant, durable, et d’une telle ampleur qu’il dépasse tout ce que les amis de l’auteur les plus optimistes osaient imaginer ». 

Aujourd’hui encore, la plupart de ceux qui lisent ou relisent volontiers Mauriac ne le voient pas en dramaturge, et c’était aussi le cas en 1938, à voir la peine que se donne Guillemin pour dénoncer « l’injustice de ce grief » selon lequel « Asmodée n’est pas “une pièce”, mais “un roman” » de plus, qui n’a été « porté sur la scène que par un caprice de l’auteur, […] un divertissement de grand écrivain ».
Faux, répète Guillemin (et son plaidoyer forme presque le quart de l’article) : « Asmodée est authentiquement “du théâtre” », et « Asmodée vous empoigne ».

Lu aujourd’hui sans le prestige de la scène, Asmodée a pourtant toutes les allures d’un roman de Mauriac, dont les descriptions seraient simplement réduites, concentrées qu’elles sont, nécessairement, dans les indications scéniques.

Faut-il regretter cet effacement du discours de l’auteur ?
Non, dit Guillemin spectateur décidément séduit, car Mauriac s’est forgé une autre efficacité :
« Sa force est la même ; son pouvoir sur nous demeure aussi grand ; peut-être même que d’entendre des voix vivantes proférer tout haut devant nous des paroles très simples, mais chargées d’un message immense, peut-être leur puissance sur nos cœurs s’en trouve-t-elle encore accrue ».

Guillemin, ne mesurant pas ses éloges, reparle de Racine.

Asmodée le « fait penser à la fois à Andromaque et à Phèdre », pièces où « les êtres se poursuivent, chacun traînant avec soi son supplice, aveugles, tous, à ce qui n’est pas cet objet qu’ils chérissent et qui leur échappe affreusement ».
Il distingue surtout le personnage nommé « M. Couture », en effet très mauriacien dans son mélange d’ignominie, de cynisme et de désespoir, « cet ennemi des prêtres et qui ne parle que de Dieu, ce despote humble brusquement, cet homme sûr de lui et qui soudain se désoriente » ; mais dans Asmodée ce sont tous les personnages qui imposent leur « existence irrécusable, impérieuse », alors même que ce sont de purs êtres de fiction.

Guillemin le dit dans un passage qui énonce bien ce qui le fait se sentir si proche du magicien Mauriac façonnant ses créatures :

« On dirait que leur drame, à chacune d’entre elles, nous concerne, que ces fantômes nous interpellent ; si nous sommes attentifs à ce point, si tel mot, tel accent qui nous parviennent s’enfoncent en nous brusquement jusqu’au vif de l’âme, si les paroles que l’auteur prête à ces êtres de fiction, mais terriblement réels, rencontrent, au fond de nous, un tel accueil, c’est peut-être que tout cela éveille dans nos cœurs des fraternités, des complicités endormies. Le démon Asmodée ne soulève pas seulement le toit des maisons ; il dénude aussi les âmes ; et les vieilles demeures des Landes, “portes et volets clos, sous les étoiles”, ne sont pas les seuls refuges que trouvent sur la terre les passions cachées. »

Que Guillemin s’attache à Mauriac écrivain chrétien, rien d’étonnant ; ce qui nous intéresse dans son attitude, à cette date de 1938, c’est qu’il voit dans l’ignoble Couture l’incarnation d’un type humain dont ses propres travaux d’histoire littéraire lui donnent des exemples dans la réalité.


Ce personnage fictif, à la fois mauvais et malheureux, misérable aux deux sens de ce mot, est « effrayant de vérité » parce qu’il « nous offr[e] l’image de ce que peuvent donner, consenties, réalisées, des virtualités qui sont là, qui palpitent chez beaucoup d’êtres, le plus souvent à leur insu. Cette façon, par exemple, chez certains “amateurs d’âmes”, de s’intéresser à peu près uniquement, mais prodigieusement, aux âmes féminines, et de n’évoluer, en paroles, que dans la spiritualité, tout en visant, sans bien eux-mêmes s’en rendre compte, à d’autres buts moins immatériels. Ainsi je ne suis pas sûr que Sainte-Beuve, en présence d’Adèle Hugo, dans les commencements au moins de leur amitié, n’ait pas été, sans le prévoir, une très singulière, très authentique préfiguration de Monsieur Couture… Sainte-Beuve lui non plus n’était pas seulement, n’était pas toujours un hypocrite ». Probable que Mauriac – s’il a lu cet article tardif sur sa pièce – a été assez étonné de voir évoquer ainsi Sainte-Beuve à son propos…

Mais c’est à vrai dire tout ce texte à la gloire d’Asmodée qui vibre d’un ton très personnel, jusqu’à sa conclusion où Guillemin loue Mauriac d’avoir si bien peint, face à Dieu qui devrait être notre seul « Amour », avec une majuscule, « l’éternelle avidité d’un autre amour, plus immédiat, plus accessible, un amour où ceux qui ne veulent pas trahir et qui voudraient tout concilier essayent, en s’y déchirant, de confondre en eux deux élans qui toujours divergent ; le besoin, plein de larmes, d’une main à serrer, d’un corps à étreindre, de quelqu’un enfin qui soit, comme nous, de chair et de sang ;

 

 

et en même temps ce pressentiment, cette atroce et confuse certitude, que ce bonheur tout humain dont l’absence est une asphyxie, jamais nous ne le posséderons… ».

Ce « nous » n’est pas seulement rhétorique, il me semble, et si Asmodée, avouons-le, ne séduit plus guère (à la lecture seule, redisons-le), l’éloge qu’en fait Guillemin s’écarte, quant à lui, du ton que l’on pouvait attendre d’un universitaire chroniquant les “nouveautés” – mais on a déjà pu voir que ces articles de La Bourse égyptienne sont tout sauf bénins et impersonnels.

Les chemins de la mer

C’est encore vrai de ce que Guillemin dit, début 1939, des Chemins de la mer, le premier roman de Mauriac depuis Les Anges noirs, mais nous revenons à un ton moins exalté, plus proche de la “critique littéraire” traditionnelle.

Nous retrouvons l’idée, dite déjà à propos de Journal II, que « toute la somme d’une expérience, toute une vue du monde depuis longtemps constituée, éprouvée, vérifiée, sont là qui sous-tendent cette œuvre éclose en quelques semaines peut-être, mais inconsciemment élaborée depuis toujours ».
Nous retrouvons aussi, décidément insistante, l’affirmation de « cette visible parenté d’âme qui se révèle entre les tragédies de Racine et les romans de Mauriac ; de même que, d’une pièce à l’autre, Racine se continuait, se prolongeait, en ligne droite pour ainsi dire […], de même aussi, d’un livre à l’autre, Mauriac avance sans jamais dévier, sur sa route, sous son ciel, dans ce mystérieux univers dont il est à la fois le pèlerin et le messager ».

Mais cette fois-ci Racine n’est pas seul invoqué pour faire comprendre Mauriac ;

Guillemin pense à Lamartine, qui jusqu’à sa mort « fut le “poète mourant”, le harpiste poitrinaire, le barde suave et mélancolique ; il avait rugi les grands vers farouches de La Chute d’un ange, il avait déployé, dans la mêlée de 48, un extraordinaire courage, montré cent fois qu’il était un homme de la trempe des forts, lucide autant qu’héroïque ; avant comme après, pour l’usage des conformistes, il demeurait le charmeur pâle, le tendre porteur de lyre, baigné de larmes, et les yeux au ciel ».

Quel rapport avec Mauriac ? mais tout simplement que Mauriac, lui aussi, est victime d’une fausse image courant les salons et selon laquelle son œuvre ne serait qu’un complaisant « grouillement de monstres ».

C’est faux, lance Guillemin aux bien-pensants habitués des sacristies : « Le monde de Fr. Mauriac, c’est seulement le monde tel qu’il est. Et rien n’est plus curieux que de voir ceux qui font profession de croire au péché originel repousser avec des mines outragées la peinture de ses conséquences ».

L’analyse de l’intrigue, où les Costadot et les Révolou s’affrontent sinistrement autour de questions d’argent, de misère et de rentes, permet à Guillemin d’esquisser à partir des mots mêmes de Mauriac ce portrait, notamment, de Rose, désormais sans fortune : « elle travaille, à présent ; elle est vendeuse dans une librairie ; il faut que chaque jour elle se lève avant l’aube, qu’elle attende, sur la route de Léognan, ce premier tram qui l’amènera jusqu’à la ville et dont le bruit réveille “la banlieue endormie”, “ces tristes maisons gorgées de sommeil humain” ; le sort de Rose est devenu celui de “la plus grande part” du troupeau des hommes ; “les sirènes d’usine qu’elle entendrait dans les aubes sombres ne l’inciteraient plus à se renfoncer dans ses draps en pensant aux pauvres ouvriers ; cet appel la concernait maintenant” ; elle était entrée dans “ce monde sordide où vivent ceux qui n’ont pas d’argent” ».

Face à elle, Robert, qui n’ose plus lui dire que « ce pauvre visage qui se fane, ces stigmates de la fatigue » ont éteint son désir ; désormais, il feint, pour ne pas la désespérer davantage, l’amour qu’il n’éprouve plus. « Un monstre ? » demande Guillemin. Non : « Un cœur faible, seulement, une de ces âmes qui n’aspirent qu’à ne plus sentir leur gênante existence, qu’à disparaître dans la facilité des appétits ». Et enfin il y a « Pierrot, le petit frère » de Robert, qui se détourne des calculs de sa mère et de son aîné et qui rêve de « recréer un monde où de tels calculs seraient inimaginables ! »


Après l’analyse de ces désastres causés par la cupidité, vient l’appréciation du lecteur Guillemin.

Il indique que « Mauriac avait d’abord donné pour titre à son roman Mammona, c’est-à-dire l’Argent, justement », et puis qu’il a trouvé ce titre et cet axe trop matériels, trop désespérés : « De Mammona aux Chemins de la mer, la perspective a changé, et Mauriac invite ses lecteurs à le suivre un peu plus haut pour contempler cette aventure. De tout ce qui se passe au monde, une leçon se lève ».

Et Guillemin cite cette phrase du livre, qui en est la clé à ses yeux :
« La vie de la plupart des hommes est un chemin mort et ne mène à rien. Mais d’autres savent, dès l’enfance, qu’ils vont vers une mer inconnue. Déjà l’amertume du vent les étonne ; déjà le goût du sel est sur leurs lèvres – jusqu’à ce que, la dernière dune franchie, cette passion infinie les soufflette de sable et d’écume. Il leur reste de s’y abîmer, ou de revenir sur leurs pas ».
Pierrot est le seul à franchir « la dernière dune », tandis que « Robert est celui qui revient sur ses pas ». Et Rose, celle qui a dû se mettre à travailler ? « Nous ne savons pas encore ; elle n’a pas eu à choisir, elle est celle à qui jusqu’ici rien d’autre n’a été demandé que de subir, simplement ».

Et Guillemin, comme il le fait souvent dans ces Chroniques du Caire, finit par un choix de citations qui soulignent chez Mauriac l’art du détail parlant, du “tableau” dont on se souvient, et qui font de lui beaucoup plus qu’un romancier de Dieu ou du mal : un poète des gestes et des paysages, qui devrait ne pas tant retenir au tréfonds de lui-même « la flamme qui le brûle toujours », pour laisser souffler « ce vent qu’on redoute dans les Landes quand le feu a pris sous les pins ».

Dans ces derniers mots de l’article il y a bien sûr de l’admiration, mais aussi l’attente d’un Mauriac encore plus grand, encore à naître.

Mauriac aujourd’hui

Nous savons, nous autres, que les trente années qui restaient à vivre à Mauriac, il les a plutôt “brûlées” dans le combat d’idées et la polémique – mais en même temps il suffit de rouvrir le Bloc-Notes ou, plus encore, les deux magnifiques volumes des Mémoires intérieurs (1959 et 1964), pour y trouver les pépites d’un art d’écrire que la poésie n’a, en effet, jamais déserté.

C’est pour cela qu’il est bien intéressant de découvrir le regard que portait sur lui, avant la guerre, son admirateur et ami Henri Guillemin.

Recension réalisée par Patrick Berthier