Catégories
Livres

La Révolution toujours vivante

Chute de la royauté. Prise du Palais des Tuileries le 10 août 1792. Tableau de Jacques Bertaux (1745-1818) – RMN 

Révolution ! Ce mot que la pensée dominante voudrait bien effacer

Le Monde des livres du 23 juin 2017 publie une double page sur l’héritage révolutionnaire, à l’occasion de la parution de plusieurs livres :
Alain Badiou : Que signifie changer le monde ? éd. Fayard. Dernier tome paru de son séminaire
Sophie Wahnich : La Révolution française n’est pas un mythe – éd. Klincksieck
Jonathan IsraelUne révolution des esprits, les lumières radicales et les origines intellectuelles de la démocratie moderne – éd. Agone
Un numéro de la revue Critique : Révolution française : la grande promesse
et je n’oublie pas une note rapide sur La bataille du bicentenaire de la Révolution – éd. La Découverte par Michel Vovelle.

Intéressant que ce journal [dit de « référence » – note de l’éditeur] donne autant d’importance à cette conjonction de publications. On peut se demander pourquoi, à vrai dire.
Est-ce parce qu’un président de la République récemment élu a intitulé son dernier livre Révolution ? Ce serait malveillant d’en faire l’hypothèse.
Quoique, des livres consacrés à la Révolution les années précédentes n’ont pas eu l’honneur d’être recensés par Le Monde, à commencer par les conférences de Guillemin sur Les deux Révolutions françaises – 1789/1792 – 1792/1794 (éditions Utovie – Pour en savoir plus, cliquez ici.)

1793, la Fête de l’Unité, en commémoration de la chute de la monarchie le 10 août 1792.
Tableau de Pierre-Antoine de Machy  (1723-1807) – Musée Carnavalet

 

Que dit cet article ?

Ne boudons pas notre plaisir et regardons de près ce qui est dit.

Jean Birnbaum interroge Badiou et celui-ci récuse bien des présupposés qui sous-tendent les questions de Birnbaum.
D’abord sur l’héritage de 89, Badiou refuse sèchement que la notion même d’héritage ait un sens en la matière, car seuls les révolutionnaires peuvent en parler et reconnaître ce qui a pu les influencer dans l’histoire de leurs prédécesseurs, et à quoi leur propre révolution ne peut certainement pas se limiter ; les autres, ceux qui sont de l’autre côté, on va dire celui de l’histoire officielle, ont surtout à coeur d’imposer aux révolutions un « couvre-feu » mémoriel qui les rend incompréhensibles et transmettent un certain nombre de légendes qui ont la vie dure (par exemple sur Robespierre, notamment), pour seul but de déconsidérer l’acte révolutionnaire lui-même, de montrer son inutilité, de souligner sa sauvagerie.
Badiou refuse aussi que soit toujours posée la question du « bilan » des Révolutions « la réaction demande toujours que son « bilan » intégralement négatif des révolutions, ramenées généralement à des crimes absurdes, qu’il s’agisse de Robespierre, de Lénine, de Staline ou de Mao, soit partagé par tous.
Mais en définitive ce sont les révolutionnaires et eux seuls qui proposent le vrai bilan des révolutions.

Combats de la rue de Rohan, le 29 juillet 1830. Tableau de Hippolyte Lecomte (1781-1857) – Musée Carnavalet

Sans doute l’expression « crimes absurdes » demanderait à être creusée.
Que signifie-t-elle exactement ? Que les révolutionnaires n’en avaient pas besoin ? Que ces crimes allaient ternir l’image des révolutionnaires ? Qu’ils étaient l’oeuvre de fous furieux plutôt que de véritables révolutionnaires ? On pense aux massacres de septembre – que Guillemin lui-même a tant de mal à justifier. Ou à certaines exécutions durant les derniers jours de la Commune.

Révolution de 1848. Lamartine devant l’Hôtel de ville de Paris le 25 février 1848. Tableau de Félix Philippoteaux (1815-1884) – Petit Palais Paris

Faut-il admettre que dans le « peuple » au nom duquel la révolution se fait ou qui en est le principal artisan – et que de toute manière le révolutionnaire ne peut manquer de glorifier – il y a des éléments dont la violence se déchaîne et prend des dimensions qui sont nettement pathologiques – ce que Marx appelait du nom de « lumpenprolétariat », prolétariat en haillons ? Faut-il tout excuser au nom de l’oppression si longtemps subie et des crimes atroces que les tenants de l’ordre ont commis pour instaurer leur pouvoir et pour le conserver ? Faut-il voir dans le peuple en mouvement l’incarnation d’une justice qui dépasse les normes généralement admises ?

1793, la Fête de l’Unité, en commémoration de la chute de la monarchie le 10 août 1792.
Tableau de Pierre-Antoine de Machy  (1723-1807) – Musée Carnavalet

Décidément, la question est complexe et mérite certainement plus que quelques mots dans une interview.

La permanente réaction des « gens de biens »

L’on voit bien que les questions posées par Birnbaum vont dans le sens d’une dépréciation de l’événement révolutionnaire.
C’est encore plus net dans le compte-rendu qu’Antoine de Baecque fait du livre de Sophie Wahnich, dont nous avons rendu compte ici même.
Après les compliments d’usage sur la qualité de son travail et sa lucidité, de Baecque ne retient de l’originalité de la thèse de Wahnich, qu’un fait : celui de comprendre comment « la Révolution française a perdu son rôle d’agent philosophico-politique de compréhension et de transformation du présent » et du même coup sa mission « de faire du passé, à travers la Révolution, une catégorie de temps contemporaine du présent. » Rien sur le reste du livre qui explique une révolution encore bien réelle.

Manifestations du 6 mai 1968. Photo de Goksin Sipahioglu

Dans le même sens va le dossier établi par la revue Critique qui tend à montrer que « la philosophie, l’histoire et la fiction interrogent [la révolution] comme « à venir » ; c’est elle qui est invoquée comme un parangon de rupture et de radicalité. »
Et de Baecque de conclure : « La tentative est louable, toujours stimulante – Sophie Wahnich connaît bien ses classiques et les actualise avec talent – mais pèche parfois par trop de certitudes. »
Et surtout, elle se limite à une gauche radicale en laissant de côté d’autres courants qui ont tenté de s’opposer à cette gauche au cours de controverses qui ont duré une bonne partie du 18e siècle.

Ces controverses, Jonathan Israël en retrace l’histoire et de Baecque trouve son travail très éclairant parce qu’il permet de ne plus faire référence à Robespierre, aux Montagnards etc, comme aux seuls porte-paroles du peuple…, comme à la seule incarnation de la vérité.

Je comprends bien son soulagement, sauf que les autres courants n’étaient pas révolutionnaires !! Ou n’étaient que les représentants des intérêts de la bourgeoisie propriétaire !!

Manifestations contre l’oligarchie mondialisée – G 8 le 21 mai 2011 au Havre (à gauche) – G 20 le 6 juillet 2017 à Hambourg (à droite)
MANIFESTATIONS CONTRE L’OLIGARCHIE MONDIALISÉE – G 20 LE 6 JUILLET 2017 À HAMBOURG

Le dernier mot, je le laisse à Nicolas Weill qui, à propos du livre de Vovelle, écrit : « que l’espérance révolutionnaire soit demeurée vivace, alors que la démocratie est en crise, n’intéressera pas que les spécialistes. »

Ce qui me semble, pour ma part, plus riche de promesses.

Lecture critique de Patrick Rödel


Pour aller plus loin

Pour compléter la réflexion sur le fait que la Révolution n’est pas devenue une relique pour musée, qu’elle est au contraire bien vivante ; pour enrichir la compréhension des mouvements complexes en cours aujourd’hui sur le plan socio-politique, nous versons à ce dossier quelques livres salutaires.

De Jacques Rancière : En quel temps vivons-nous ? – éd. La fabrique. C’est une conversation avec Eric Hazan, éditeur du livre, au cours de laquelle, entre autre, on apprend pourquoi la démocratie n’est pas superposable au système représentatif, et bien d’autres sujets sur les mouvement révolutionnaires.

De Bruno Amable et Stéfano Palombarini : L’illusion du bloc bourgeois – éd. Raisons d’agir. Ce petit livre montre admirablement les enjeux politiques stratégiques qui traversent et bouleversent les anciens systèmes politiques d’aujourd’hui, sur fond d’évolution du capitalisme ultra libéral mondialisé.

De Jean-Claude Milner : Relire la Révolution – éd. Verdier. Un parfait contrepoint aux sous-entendus de l’article du Monde et une saisissante réhabilitation de Saint Just et de Robespierre ; de quoi faire hurler les gens de « biens ».

Et puisqu’on parle de Robespierre, citons cet admirable recueil de poèmes de Gertrud Kolmar (née en 1894 à Berlin, morte le 2 mars 1943 à Auschwitz) –  : Robespierre [poésies] – éd. Circé, bilingue, écrit en 1932/33 et enfin traduit en français.

 

Manifestations place de la République à Paris contre la démantèlement de la sécurité sociale en décembre 1995.

3 réponses sur « La Révolution toujours vivante »

Bonjour, petite précision pour ceux qui chercheraient à voir la sculpture de Paul Moreau-Vauthier, elle n’est pas dans le cimetière du Père-Lachaise sur le mur des Fédérés, mais à l’extérieur du cimetière, dans le square Samuel de Champlain, le long du mur opposé au mur des Fédérés.

Bonjour,

Grand merci pour cette précision. Nous corrigeons la légende.
Très cordialement.

Adm/LAHG

Les commentaires sont fermés.