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Guillemin chrétien

Guillemin chrétien : des nouvelles de Mâcon

Les activités de LAHG, depuis sa fondation fin 2015, se sont largement concentrées autour de l’activité et de la pensée d’Henri Guillemin comme historien :
la Révolution, la Commune, 1940 en ont été des points forts, et notre site lui-même a proposé, à travers les lettres d’information adressées aux abonnés depuis trois ans, un grand nombre de sujets politiques, au sens large.

Mais nul n’ignore que montrer seulement en Guillemin un homme degauche opposé aux dominants, c’est négliger le fait que lui-même se voulait à la fois homme de gauche et chrétien : chrétien, en effet, plutôt que catholique, car autant l’institution romaine que ses dogmes lui ont posé de plus en plus de problèmes à mesure qu’il avançait en âge : hostilité croissante envers la plupart des papes, interrogations sur la divinité du Christ, sur Marie sa mère…

Un grand nombre des articles et des conférences de sa vieillesse montrent à quel point il hésitait sur bien des points de croyance “obligatoire”.
L’Affaire Jésus (1982), celui de ses livres qui s’est (de loin) le plus vendu, en est un témoignage, et plus encore Malheureuse Église (1992), ouvrage qu’il achevait d’écrire au moment de sa mort.

Et pourtant, Guillemin ne l’a pas quittée, cette Église qu’il a tellement vilipendée, car pour lui, si coupable qu’elle soit, et de tant de crimes, elle n’a jamais cessé de faire passer le message évangélique dont elle est porteuse.

Guillemin n’a pas non plus abandonné ce Dieu dont il ne sait qui c’est, mais sans l’appel d’air duquel la destinée humaine n’avait plus de sens à ses yeux : dans Henri Guillemin tel quel (Utovie, 2017), les dialogues que nous avons eu ensemble en 1977 occupent 175 pages, et le plus long chapitre de cette section s’intitule précisément « De gauche et chrétien » et compte, à lui seul, presque 60 pages, preuve simple de l’importance du sujet pour un homme que ces questions tourmentaient depuis des décennies.

C’est dire comme il est délicat de les aborder après lui et à son sujet, car qui connaît la foi ou l’incroyance d’un homme, et qui sait à quelle profondeur elles s’ancrent ?


Etre humain s’interrogeant devant l’infini que représente « Outrenoirs » de Pierre Soulages
peinture 181/405 cm – 2012 – acrylique sur toile.

Les activités récentes et à venir de l’association « Présence d’Henri Guillemin » (PHG), fondée à Mâcon fin 2002 à l’approche du centenaire de sa naissance, nous permettent aujourd’hui de revenir sur ce thème de « Guillemin chrétien », et c’est tant mieux. En effet plusieurs « amis de Guillemin » (dont le signataire de ces lignes) sont adhérents des deux sociétés, et nous nous réjouissons qu’elles aient trouvé comment coexister, et travailler chacune à sa façon à mieux mettre en lumière Guillemin.

Il ne s’agit pas ici de discuter des mérites de tels ou tels choix, puisque Mâcon a aussi parlé de Guillemin historien, mais de me faire l’écho de manifestations et/ou publications récentes ou à venir, qui se trouvent privilégier plutôt l’axe religieux.

Lors de la publication du Cas Guillemin, version, fortement expurgée par lui, de nos dialogues (Gallimard, 1979), Henri Guillemin m’avait dit son plaisir de me voir placer en fin de volume la version originale (1937) de son essai « Par notre faute », publié dans la revue dominicaine La Vie intellectuelle. 
Il s’agit d’une quarantaine de pages où il retrace les erreurs et les horreurs passées de l’Église en des termes si rudes que le Vatican estima nécessaire de condamner aussitôt ce texte dans les colonnes de son journal officiel, l’Osservatore romano, le dimanche 14 novembre 1937, en pleine première page et sur une colonne et demie.

[Nous mettons cet article à titre documentaire car la photocopie n’est pas de bonne qualité. Néanmoins, pour voir l’article, cliquez ici ; pour le lire, utiliser l’effet zoom de votre ordinateur – N-D-E]

Claude Pautet, un des animateurs de PHG, a retrouvé cet article du Père Mariano Cordovani, intitulé « Per un articolo stampato nella la rivista “La Vie intellectuelle” » ; sa traduction par Joëlle Pojé peut être consultée sur le site de PHG (cliquez ici).

Il s’agissait avant tout pour Rome de désapprouver publiquement l’ordre dominicain, dont l’indépendance d’esprit a toujours irrité le Vatican, d’avoir fait bon accueil à un texte aussi violent ; mais, dès cette époque, Guillemin lui-même était considéré en haut lieu comme un « drôle de chrétien ».
Et il a continué dans cette voie…

Autour de « Reste avec nous » : Christian Nardin à Clessé (Saône et Loire)

Il a continué dès 1944, avec une nouvelle écrite pour Pâques, publiée à Neuchâtel à la fin de juillet, et qui est sans doute, qu’on soit croyant ou mécréant, un de ses textes les plus personnels et les plus frappants.

C’est un récit de la Passion du Christ, mais dont le narrateur est un simple savetier de Jérusalem, qui raconte à un ami, dans son langage à lui, ce dont il a été témoin, et comment il est passé, à l’égard de cet excité en qui certains voyaient un prophète, et d’autres un chef politique, de la réticence à l’enthousiasme.
Il ne le dit pas avec des mots si savants, mais le récit parle à sa place, de l’épisode initial de la colère du « Nazaréen » contre les marchands du Temple à l’épisode final d’Emmaüs, sur lequel Guillemin laisse son lecteur.

Hors de toute option religieuse, ce texte est fort ; Le Monde diplomatique n’a pas jugé déplacé de le reproduire en entier dans son numéro d’avril 1988, avec ce surtitre de la rédaction : « Événements singuliers à Jérusalem », qui favorisait une lecture politique contemporaine (mais Guillemin lui-même évoquant, en pleine année 1944, l’occupation romaine, ne pensait bien sûr pas seulement aux Romains), et surtout qui donne à ces pages une ampleur, dans le temps et dans l’espace.

La forme sous laquelle se présente Reste avec nous (un récit oral) a attiré les gens de théâtre.
C’est d’abord Benoît Allemane qui en a donné, avec sa compagnie Capricorne, en 1984, une adaptation jouée au théâtre de la Tête-d’Or à Lyon ; le texte en a été édité par ses soins en 1987, mais je n’ai pu le lire.

Plus récemment, et ce spectacle-là j’ai eu la chance de le voir, c’est Christian Nardin qui l’a porté, sans y rien changer, à la scène avec sa propre compagnie, les Tréteaux de Port-Royal (ainsi nommée au départ parce que la première pièce qu’il a jouée était le Port-Royal de Montherlant).

Christian Nardin, qui a été professeur de lettres au Lycée international de Strasbourg, était tout juste adolescent quand il a rencontré Guillemin en 1972.
Malgré le demi-siècle d’écart d’âge entre eux, ils sont devenus proches, ont abondamment correspondu, et lorsqu’en 2003, bien après la mort de Guillemin, Christian Nardin a enfin osé s’emparer de ce Reste avec nous qui l’avait dès l’origine fasciné, il l’a fait dans une fidélité exemplaire au texte et à l’esprit du texte.


Christian Nardin – Photo de M. Bonnetain,
Journal de Saône-et-Loire

Le 3 novembre 2018, à l’invitation de deux associations, « Sauvegarde du patrimoine clesséen » et PHG, il est venu présenter son spectacle au Foyer rural du village de Clessé, situé entre Mâcon et Cluny.
Succès : plus de deux cents entrées payantes, et surtout près de cent personnes restées pour le débat qui a suivi. Succès légitime, car la sobriété et la force du jeu de Christian Nardin, seul en scène dans un décor minimal efficace, laissent à la parole de Guillemin et à ce qu’elle raconte un espace de déploiement idéal.

Cela dure une heure, qui passe comme un instant très intense. On la sentait, cette intensité, dans la qualité du silence, on la sentait encore dans l’intelligence des questions posées après le spectacle, et auxquelles nous avons tenté de répondre depuis la scène transformée en tribune, Christian Nardin bien sûr, Joëlle Pojé (présidente de PHG), Martine Jacques (dont je reparle dans un instant), et moi-même.


De gauche à droite : Patrick Berthier, Joëlle Pojé-Crétien, Christian Nardin,
Martine Jacques, et le modérateur de l’association de Clessé.

L’universitaire que je suis peut le dire, il y a peu de colloques universitaires dont je garde un tel souvenir. Quelque chose s’est passé, quelque chose d’humain au sens plein du terme.

Édition et projets

Parmi les intervenants du débat figurait, je viens de la citer, Martine Jacques, maître de conférences de littérature à l’université de Dijon et adhérente récente mais active de PHG. Lors d’une journée consacrée à l’avancement des recherches sur Henri Guillemin, à Mâcon, le 30 septembre 2017, elle avait proposé une intervention remarquée sur ses nouvelles.

Reste avec nous est en effet une des quatre qu’il a publiées entre 1942 et 1948, et ces très courts textes, écrits pour ses enfants, sont en effet remarquables comme témoignage de ce qui comptait à ses yeux : la fraternité et non la guerre, la foi, la lucidité face aux mensonges des puissants.

Comme les autres textes de Guillemin, ces nouvelles ont été rééditées par Utovie, mais elles l’ont été dès son vivant et avec son accord, entre 1978 pour Rappelle-toi, petit (savoureux et acide récit du coup d’État du 2 décembre 1851), et 1989 pour Reste avec nous.

L’année 2019 va voir la publication, par Utovie toujours, d’un volume unique réunissant les quatre nouvelles, avec en préface un texte de Maurice Maringue (1931-2016), journaliste mâconnais, auteur en 1984 de l’ouvrage Henri Guillemin le passionné, et en postface l’étude de Martine Jacques, qui propose une approche globale suggestive de l’aspect autobiographique de ces textes.

Enfin, autre projet préparé pour 2019 par l’association de Joëlle Pojé, et qui reprend plusieurs thèmes évoqués ici :
il s’agit d’une journée d’études, à Mâcon, le 28 septembre, centrée précisément sur le thème « Guillemin chrétien » évoqué ici ; parmi les orateurs prévus, Christian Nardin dira, à partir des souvenirs de leur amitié, comment il voit la foi de Guillemin, Joëlle Pojé parlera de l’affaire de « Par notre faute » et de la condamnation romaine, et Martine Jacques envisagera la foi de Robespierre – ce qui nous ramènera à la Révolution, et à Henri Guillemin historien, par un des biais qui suscitèrent le plus la polémique lors de la sortie de son livre de 1987.

Tout cela montre que nous ne devons surtout pas compartimenter Guillemin pour ne garder de lui que ce qui va dans le sens de nos propres préférences.
Qu’il ait été chrétien, loin de gêner notre compréhension de son œuvre, peut et doit y contribuer. Comme le reste.

Cela ne force personne à se signer en entrant dans l’église – ni même à entrer dans l’église.

Note rédigée par Patrick Berthier

Photogramme tiré du film « 2001 l’odyssée de l’espace » (1968) de Stanley Kubrick – Mystère du monolithe noir comme symbole de l’immensité de l’Univers et de la pensée humaine

Une réponse sur « Guillemin chrétien »

Merci pour ce bel article,
« Quelque chose s’est passé, quelque chose d’humain au sens plein du terme… »
écrivez – vous en évoquant la représentation par Christian Nardin de « Reste avec Nous » à Clessé et les échanges qui l’ont suivie.
Je crois que vous mettez ainsi des mots sur quelque chose de difficile à exprimer mais
qui fait tout l’intérêt de ne pas oublier le H.G chrétien.
Cette humanité, au sens plein du terme, que trans-portait Henri Guillemin ne se
nourrit pas seulement de son interprétation lucide et intelligente des sources en
tant qu’historien ou de son regard politique sur l’actualité de son époque, mais
aussi du regard qu’il posait sur les êtres humains en tant que chrétien, précisément.
A mon sens, c’est ce regard qui lui a permis de porter un éclairage original
et irremplaçable sur la vie d’un Robespierre ou d’une Jeanne d’Arc, par exemple.

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